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La vie de sainte Angèle Merici se déroule entre la fin du XVe et la première moitié du XVIe siècle. C’est une période extraordinaire qui porte bien son nom de Renais-sance en raison de la fermentation intellectuelle et des réalisations scientifiques et artis-tiques qui la caractérisent.
Pendant ces années, les cercles religieux plus avertis cherchent à abandonner les spéculations philosophiques et théologiques pour revenir à une vie chrétienne concrète et personnelle, fondée sur la méditation et la pratique de l’Evangile. C’est dans ce ter-reau que prend naissance l’expérience spirituelle extraordinaire d’Angèle Merici qui la concrétisera par la fondation de la Compagnie de Sainte Ursule. Celle-ci donnera lieu à une nouvelle dignité pour les femmes, grâce à une consécration vécue non plus dans le cloître, mais dans le monde, au sein de la famille. Le prophétisme de cette vie se mani-feste donc, sous une forme ni apocalyptique ni millénariste, mais dans l’attention aux signes des temps et à leur interprétation.
Dans sa nouveauté audacieuse, la proposition de Sainte Angèle se centre sur le mo-dèle de l’Eglise primitive, le genre de vie des Apôtres et des premières communautés chrétiennes. Elle ouvre ainsi les voies à la dévotion moderne.
Angèle naît à Desenzano del Garda, très probablement aux environs de 1476 dans une famille de petite noblesse rurale, qui s’était transférée de Brescia aux bords du Lac de Garde. Sa vie est éprouvée par des deuils précoces, la mort de sa sœur, avec qui elle tait très liée, et celle de ses parents. Encore adolescente, elle est accueillie à Salo par son oncle maternel d’un milieu aisé. Elle y demeurera pendant plusieurs années et y vê-tira l’habit de tertiaire franciscaine, au couvent des Frères Mineurs de l’Observance de Saint Bernardin.
Nous savons bien peu de choses de cette longue période de formation, qui va de l’enfance à l’âge adulte ; cependant, les quelques renseignements qui nous ont été transmis sont d’accord pour souligner chez Angèle une tendance précoce à prier, à jeû-ner et à vivre une vie contemplative. C’est la mort de sa sœur qui l’a surtout affectée, car en plus de la douleur qu’elle en ressentait, elle craignait pour la destinée éternelle de sa sœur. La célèbre vision consolatrice de « l’échelle », qui préfigure la fondation de la Compagnie de Sainte Ursule, est liée à cet évènement. Il est raconté d’une manière em-blématique environ quarante ans après la mort d’Angèle par le Père Landini, de la Congrégation des Pères de la Paix et confesseur de la Compagnie de Sainte Ursule : (…) un jour où elle se trouvait élevée en esprit, il lui semblait que le ciel s’ouvrait et qu’en sortait une procession merveilleuse d’anges et de vierges , qui avançaient ensem-ble, deux à deux, en jouant de la musique et en chantant ». Dans ce déroulement inin-terrompu d’une procession d’anges et de vierges, qui unit la terre au ciel, on aperçoit implicitement une référence à l’échelle de Jacob.
En 1516, Angèle a environ quarante ans ; elle se rend à Brescia chez Caterina Pa-tengola, afin de la consoler de la mort de ses fils. Ici commence pour Angèle une mis-sion de consolation et de conseil qui, peu à peu s’élargira pour embrasser tous ceux qui ont recours à elle, à ses prières, à ses médiations et à son action pacificatrice.
Pour Angèle, c’est une période mystique de prière et de charité. Un premier cénacle spirituel se forme autour d’elle : le marchand Antonio Romano, Girolamo Patengola, (neveu de Caterina) , l’agronome Agostino Gallo et Girolamo Chizzola, un des mem-bres les plus brillants de la noblesse du lieu, ambassadeur de la République sérénissime de Venise et fondateur des Académies de Rezzato et de Brescia.
Vers 1520 elle commence à se rendre en pèlerinage aux lieux saints de la chrétienté. Depuis toujours, le pèlerinage comportait une conversion intérieure profonde, jusqu’à symboliser l’humanité dans sa recherche du Christ. Angèle prend à son compte cette dévotion qui avait caractérisé la spiritualité d’autres saints, comme Sainte Ursule, une martyre d’origine britannique du 3e - 4e siècle, à qui elle dédiera la Compagnie.
Son premier itinéraire (en 1522) la mène au sépulcre de la bienheureuse Osanna Andreasi, morte stigmatisée en 1505 à Mantoue. Mais c’est le voyage en Terre Sainte, en 1524, qui prendra une signification particulière dans son parcours spirituel. Quand le navire de pèlerinage aborde à Candie (en Crète), un « signe » extraordinaire s’est pro-duit, une sorte de miracle « à rebours », c’est-à-dire, la perte presque complète de la vue qui l’empêchait de voir la Terre Sainte. Ses premiers biographes attachent à cet événe-ment une note supranaturelle : le Seigneur l’a rendue aveugle dans ses sens pour la for-cer à regarder avec les yeux de l’esprit, pour affiner en elle la compréhension de Son dessein sur elle. Selon Agostino Gallo, c’est Angèle elle-même qui lui a confié « qu’elle voyait avec des yeux intérieurs, comme si elle avait vu avec des yeux exté-rieurs ».
Après un retour plein de risques, où les hommes et les éléments naturels semblaient se conjurer contre le navire des pèlerins, Angèle arrive à Venise à la fin de 1524. Sa ré-putation de sainteté se répand dans la cité lagunaire et un grand nombre de religieux, de gentilshommes et de dames vont trouver celle qui est revenue du pèlerinage à Jérusa-lem : les voyageurs attribuent à sa prière le fait d’avoir été sauvés. Ce voyage l’a pro-fondément changée, et la transformation devait être évidente. Alors qu’elle est mainte-nant connue comme « sainte vivante », commence pour elle une nouvelle dimension, celle d’un apostolat public. Revenue à Brescia, elle se rend en pèlerinage à Rome quel-ques mois plus tard pendant l’année jubilaire de 1525. Là, elle reçue par le Pape qui lui propose de rester dans les luoghi pii, une invitation qu’elle décline.
Quand Angèle retourne à Brescia, elle a un peu plus de cinquante ans. Ce n’est plus la « pieuse femme » partie pour son premier pèlerinage. Son parcours de vie spirituelle l’a façonnée, l’a rendue plus intense, profonde et sage, capable de recueillir davantage l’essence spirituelle des choses. Elle revient chargée de charismes : la sainteté de sa vie est désormais reconnue, depuis les Lieux Saints de Jérusalem jusqu’à Venise, centre de trafic mercantile, jusqu’à Rome, centre de la chrétienté, et Milan, probablement le cen-tre le plus important de production en Italie.
Le 25 novembre 1535, fête de Sainte Catherine d’Alexandrie, elle fonde la Compa-gnie de Sainte Ursule. Celle-ci, à ses débuts, présente déjà une ascèse propre, liée à la valeur eschatologique d’une consécration virginale vécue sans vœux canoniques. Ce nouvel état de vie est proposé à celles qui désirent sanctifier leur propre existence sans entrer dans un monastère ni se marier. C’est la voie moyenne, la plus vertueuse, en tant qu’elle renouvelle l’esprit par des épousailles mystiques, qui correspondent à une régé-nération de la vie vécue dans le monde. A cette Compagnie, Angèle laisse une Règle, des Avis, et un Testament d’une profonde valeur ascétique et spirituelle, imprégnée d’une intuition pédagogique remarquable.
Cette nouvelle forme de vie consacrée, née de l’inspiration méricienne, renverse les hiérarchies spirituelles et sociales attribuées aux femmes. Avec la nouvelle Compagnie, venue du Ciel dans la force et la puissance du Saint Esprit, chaque femme consacrée pouvait sanctifier sa propre existence, non en s’enfermant entre les murs d’un couvent, mais en vivant et en agissant selon le modèle de l’Eglise primitive. Ceci renforçait im-plicitement la dignité de tout « état » ou condition de vie de la femme, dans un monde qui, au contraire, se méfiait de voir une jeune fille s’engager en dehors des deux états socialement reconnus, le mariage et la vie monastique. L’union nuptiale avec le Christ mettait ces femmes effectivement en dehors de ces schèmes traditionnels, en les rendant responsables de leur propre honneur. Bien sûr, la Compagnie veillait sur elles avec des structures hiérarchiques maternelles, mais elles ne pouvaient échapper à sa profonde nouveauté, dans un temps où les espaces de liberté commençaient à se réduire pour les femmes.
Girolamo Romanino (1484-1559), un artiste exceptionnel, met en relief ce symbo-lisme méricien par sa fameuse toile qui se trouve aujourd’hui au Brooks Memorial Gal-lery de Memphis. Cette œuvre constitue, en fait, une sorte de « manifeste » de la Com-pagnie de Sainte Ursule : sainte Catherine d’Alexandrie est à genoux au centre, alors qu’elle reçoit l’anneau sponsal de l’Enfant Jésus, qui se trouve sur les genoux de Marie. A gauche, dans la pénombre, illuminée seulement par une source lointaine de lumière sous forme de bras, il y a saint Laurent. Ceci est une allusion claire au Vicaire Général de Brescia, celui qui approuva la Règle. Dans une position légèrement en retrait, sur la droite, il y a sainte Angèle vêtue de l’habit de tertiaire franciscaine, et Sainte Ursule qui, tenant en main son étendard, semble indiquer à Angèle la voie à entreprendre.
Ainsi, il est montré que le mariage mystique de sainte Catherine assume une valeur symbolique particulière pour les Ursulines, en tant qu’elle définit la Compagnie comme celle des « épouses de Jésus ». Il ne faut pas négliger l’importance symbolique du cou-ronnement, ce rite dans lequel l’Ursuline devient l’épouse du Christ. Dans la peinture de Romanino, cette dignité est représentée par la couronne de sainte Catherine, déposée entre les lames de la roue de son martyre, une couronne que chaque fille de sainte An-gèle accueillera et se mettra, au terme de son propre « martyre ».
A la mort d’Angèle le 27 janvier 1540, lorsque la nouvelle de son « départ » se fait connaître à Brescia, une grande foule se rend à l’église sainte Affre, aujourd’hui, sanc-tuaire de sainte Angèle Merici. Son corps est exposé en ce lieu dans un cercueil ouvert. Pendant trente jours, elle reste exposée à l’incessant pèlerinage des fidèles, sans montrer aucun signe de décomposition, et c’est le peintre de Brescia, Moretto, (1498-1554) qui réalise son portrait funèbre. Les chroniques racontent qu’après sa mort il y eut un évé-nement extraordinaire : les premiers soirs apparut au dessus de l’église sainte Affre une lumière importante, comme une étoile très brillante, perpendiculaire à l’endroit où re-posait le corps bienheureux.
Alors qu’Angèle était vénérée depuis plus de deux siècles, le procès de canonisation s’ouvrit en 1757, à la demande de la Mère Schiantarelli, supérieure des Ursulines de Rome. Une dizaine d’années plus tard, en 1768, Angèle fut proclamée bienheureuse par Clément XIII et enfin canonisée par le Pape Pie VII en 1807. Pie IX en 1861 étendit son culte à l’Eglise universelle.
La fête liturgique, célébrée solennellement par les Compagnies et par les Congréga-tions Ursulines a lieu le 27 janvier de chaque année.
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